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Perdre la tête par temps de révolution...

Publié le par Barbara Mai

 

Critique d'un livre dans Libération du 22 septembre 2011

 

 

Laure Murat explore les relations entre troubles politiques et folie au XIXe siècle dans L'homme qui se prenait pour Napoléon.

 

«Jamais il n’y eut autant de maladies mentales qu’après l’orage de la Révolution», écrit Michelet dans Ma jeunesse : «La vie nerveuse semblait atteinte dans ses sources mêmes.» L’idée d’une relation directe entre les désordres de la vie publique et ceux de l’esprit trouble le XIXe siècle. Dès 1816, le Dr Esquirol estime que les «malheurs politiques» du pays conditionnent ses délires. Dix ans plus tard, son collègue Félix Voisin explique comment «les commotions politiques produisent les maladies mentales». C’est cette relation singulière entre l’histoire et la folie, entre le politique et le pathologique qu’explore le livre de Laure Murat, archives des asiles de la Seine à l’appui.

 

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Mais la Révolution est en elle- même porteuse d’anxiétés psychiques : à l’ordre stable de l’Ancien Régime, elle substitue un monde où l’individu est promu sujet politique et social, acteur de son propre destin. On perçoit qu’un tel bouleversement, lié au choc de la Terreur, ait pu susciter des dérèglements. Pour Pinel, un quart des internés de Bicêtre a vu sa «raison aliénée par les événements de la Révolution». La guillotine, autre invention médicale et politique du temps, symbolise bien ce risque de «perdre la tête».

 

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«Moi colossal». Le cas d’école, qui donne son titre au livre, réside dans la figure devenue lieu commun de «l’homme qui se prend pour Napoléon». L’identification aux grands de ce monde est bien sûr un symptôme classique de dérèglement mental, mais cette identification-là est particulièrement révélatrice des désirs et des anxiétés du temps. Sa relation au contexte est évidente puisque c’est après le retour des cendres de l’ex-empereur, en décembre 1840, que l’on recense le plus grand nombre de cas. Mais quelque chose de plus profond, que les aliénistes vont intituler «monomanie orgueilleuse», se joue autour de Napoléon. Qu’est-il d’autre en effet que ce «moi colossal», perversion de la conscience individuelle, que ce héros démocratique, sorti de nulle part et devenu Dieu et surhomme à la fois, que cet être au psychisme dissocié (Bonaparte vs Napoléon) incarnant toutes les contradictions du sujet moderne ? Prudent, le livre de Laure Murat ne nous dit pas pour qui on se prend aujourd’hui.

 

 

http://www.liberation.fr/livres/01012361252-perdre-la-tete-par-temps-de-revolution

 

 

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